Carton plein pour la formation
Recruter toujours plus
« Un bon arbitre de rugby doit savoir faire comprendre sa décision d’un coup de sifflet. Si son sifflet s’enraye, il passe pour un baltringue », Nicolas Onfray parle sans détour.
Une dizaine de personnes en survêtement ou short, crampons au pied, l’écoutent. Lui est arbitre de rugby en Fédérale 3 (la cinquième division du rugby français), eux sont « arbitres en cours de formation » (ACF).
Ateliers sifflet, gestuelle et placement
Ce samedi 25 novembre, ils passent l’examen final de leur formation commencée mi-octobre. Après quatre cours théoriques d’apprentissage des règles, ils s’essaient à la pratique.Au programme sur le terrain de rugby de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) : ateliers sifflet, gestuelle et placement, test physique et examen écrit.
60 questions écrites
Il fait froid, une fine pluie tombe. Pour se réchauffer, certains fourrent les mains dans leur short. Sur la pelouse, quatre groupes de dix sont encadrés, chacun par un arbitre fédéral qui prodigue conseils, recommandations et savoir-faire.Plus loin, au Club House de l’UBM (l’Union des bords de Marne, le club de rugby local), une quarantaine d’autres apprentis arbitres planchent au chaud sur un énoncé de 60 questions écrites.
« Un joueur essaie de rattraper le ballon, celui-ci touche les mains du joueur, tombe derrière lui et rebondit vers l’avant. Il y a “en-avant”. Vrai ou faux ? Un joueur muni d’une carte d’identité et d’un certificat médical peut participer à une rencontre. Vrai ou faux ? »
L’art du sifflet
Les candidats devront aussi remplir une feuille de match. « Attention, c’est la pièce administrative de référence d’un match », insiste l’un des superviseurs de cet examen.Nicolas Onfray continue son cours sur l’art du sifflet. « Vous arbitrez pour les joueurs mais aussi pour les entraîneurs et le public. Tous doivent pouvoir vous comprendre en écoutant votre coup de sifflet, pas en vous regardant », précise-t-il.
Et d’enchaîner. « Donc, le coup de sifflet n’est pas le même pour un “en-avant” ou une pénalité. Une pénalité sanctionne une faute, vous êtes énervé, donc votre coup de sifflet doit être énergique et long. Un “en-avant” est une péripétie du jeu courant, donc votre coup de sifflet est bref et calme. »
Une petite centaine de décisions par match
Chaque stagiaire s’y essaie. On sort les mains des poches. Ça rigole, ça chambre. Le premier coup est trop timide ou trop péremptoire. Il faudra encore s’exercer.Julien Noguera, 33 ans, fonctionnaire de police, a déjà eu un sifflet en bouche. « J’ai commencé sur la voie publique à régler la circulation », sourit-il. « Ça va être facile. »
Un arbitre de rugby prend une petite centaine de décisions par match, il a intérêt à savoir siffler.
« L’arbitre voit le jeu différemment »
Ils sont environ 80 ce matin de novembre à prétendre devenir arbitre stagiaire, le premier échelon de la hiérarchie des arbitres. Le plus jeune a 14 ans, le plus vieux 44. On compte une dizaine de filles dans cet univers très masculin.Les motivations sont diverses. Noémie Décorme, 16 ans, inscrite au club de Conflans-Herblay (Val-d’Oise) et qui rêve de jouer en équipe de France, a été poussée par son grand-père qui arbitrait au niveau régional. « Il me disait que l’arbitre voit le jeu différemment. J’ai déjà arbitré des matchs scolaires, ça m’éclate. »
Quentin Verret, étudiant ingénieur en BTP, acquiesce : « L’arbitrage me plaît plus que le jeu. Les joueurs font le match, l’arbitre le dynamise. Il est partie prenante du spectacle. »
Il a 23 ans et un bonnet du Rugby Club Toulonnais sur la tête, son club de coeur. Il veut monter les échelons de l’arbitrage jusqu’en Fédérale.
« Rester sur le terrain »
D’autres comme Julien Noguera, 33 ans, qui a joué en Fédérale 1 (troisième division), se tournent vers l'arbitrage pour rester au contact du rugby. « Mon métier d’enquêteur de la police judiciaire accapare beaucoup de mon temps. Arbitrer me permettra de rester sur le terrain. »Même démarche pour Mattéo Debon, 14 ans, le benjamin de cette promo, demi de mêlée au Rugby Club Montesson-Châtou. Il suit cette formation parce que, « physiquement », il ne peut « pas continuer à jouer au rugby ».
Test sportif identique pour tous les candidats
L’adolescent terminera le test sportif en serrant les dents, épuisé.Il est identique pour tous les candidats quels que soient leur âge, gabarit, sexe. Ils doivent courir 800 mètres en faisant allers-retours et courtes pauses sous les ordres d’une voix enregistrée diffusée par haut-parleur.
275 matchs par week-end
« Il y a de la place pour tout le monde pour devenir arbitre », lancera Eric Gauzins aux stagiaires en ouverture de la formation. Il est délégué territorial de l’arbitrage (DTA) du comité territorial de l’arbitrage (CTA), bref le patron des arbitres d’Île-de-France.Le comité désigne chaque week-end un arbitre pour chacun des 275 matchs qui se déroulent sur un vaste territoire. De Clermont-sur-Oise (Oise) à Saint-André-les-Vergers (Aube), de Mantes-La-Jolie (Yvelines) à Reims (Marne).
Jeunesse du vivier
Les 80 nouveaux ne seront pas de trop pour compléter une liste de plus de 300 arbitres « dont 30 % sont indisponibles chaque week-end », compte Eric Gauzins, le délégué territorial de l’arbitrage.Autre difficulté à laquelle le DTA se heurte : la jeunesse de son vivier. « 33 % des arbitres ont moins de 22 ans. C’est un problème pour les fidéliser car ils sont moins stables », professionnellement et géographiquement.
« L’arbitrage pour eux est plus un hobby qu’un engagement », conclut-il. Or un arbitre qui arrête « au bout de deux ans de pratique, c’est de l’investissement perdu ».
La menace d’une relégation sportive
Alors pour recruter encore plus d’arbitres, la Fédération française de rugby a adopté un nouveau point de règlement cette année.Si chaque club doit fournir un nombre précis d’arbitres, cette obligation n’était assortie jusqu’alors que d’une faible amende si elle n’était pas respectée. Désormais, elle peut être sanctionnée d’une relégation sportive.
Des stagiaires en nombre
L’effet a été immédiat. Alors qu’en 2010, le nombre de stagiaires ne dépassait pas 25, cette année, la salle de réunion du comité de rugby d’Île-de-France où se tenaient les cours dispensés par Mariane Gruel, arbitre de Fédérale 2, ne comptait pas assez de chaises pour tous les stagiaires.Les clubs ont envoyé en nombre des joueurs suivre la formation.
La pédagogie préférée à la sanction
Michael Durchon est l’un d’eux. Talonneur de l’Isle-Adam (Val-d’Oise), il a été suspendu 17 semaines, la saison dernière, pour avoir insulté et menacé un arbitre. Son club voulait l’exclure un an, mais a préféré la pédagogie à la sanction.« L’arbitre a toujours raison. Il est mieux placé que les joueurs pour voir les fautes », reconnaît maintenant le talonneur.
En 2011, Sébastien Chabal avait été condamné à suivre cette même formation à l’arbitrage pour avoir insulté les arbitres du Top 14. « En suivant cette formation que votre club paye 300 euros », prévient Eric Gauzins, « vous vous engagez à passer l’examen et à donner trois ans en tant qu’arbitre. »
Une chorégraphie codée
Sur le terrain mouillé de Villiers-sur-Marne, Denis Daste, arbitre de Fédérale 2, répète la gestuelle avec ses stagiaires.Bras tendu en l’air, à l’horizontal ou coude à angle droit ; main qui trace trois cercles dans l’air ; bras croisés sur la poitrine ou qui s’écartent ; main qui balaie ou fend l’air : les gestes de l’arbitre de rugby sont une chorégraphie codée que le stagiaire doit maîtriser.
« Chacune de vos décisions se découpe en trois temps », explique Denis Daste.
Siffler puis expliquer
Premier moment : « D’abord vous sifflez. Ensuite vous indiquez, d’un geste, en faveur de qui vous prenez votre décision : c’est la gestuelle primaire. »Second moment : « Vous expliquez d’un autre geste le pourquoi de votre décision : c’est la gestuelle secondaire. »
Il peut y en avoir un troisième : « Éventuellement vous pouvez parler pour préciser. Plus vous donnez d’explications, plus vous aurez d’autorité auprès des joueurs », conclut l'arbitre de Fédérale 2.
« Dans ma bulle »
« Les quatre problèmes de l’arbitre débutant », énumère Eric Gauzins, le délégué territorial de l’arbitrage, « sont le coup de sifflet (trop inexact), la gestuelle (trop hésitante), la feuille de match (mal remplie), et la vision du jeu (centrée sur le ballon). »« La première fois que j’ai arbitré », se souvient Noémie Décorme, « j’étais dans ma bulle, concentrée sur le ballon. J’ai eu l’impression de ne rien voir. »
« Je vais pas mal baliser et faire plein de conneries lors de mon premier match », appréhende un autre. « Si je fais des conneries, il faudra que je les assume avec conviction », complète avec audace Quentin Verret, l’étudiant ingénieur en BTP.
Un premier match « nébuleux »
Tous les stagiaires savent que ce premier match en tant qu’arbitre sera un peu « nébuleux », comme le qualifie Julien Noguera, le fonctionnaire de police.Mais tous peuvent compter sur la méconnaissance de la subtilité des règles qu’ont les joueurs. Une ignorance qui place l’arbitre dans une position supérieure à celle des joueurs. Lui sait. Eux se soumettent à ses décisions.
« Si j’avais su ce que j’ai appris lors de cette formation d’arbitre, j’aurais été meilleur sur le terrain. J’aurais joué avec l’interprétation de la règle », souffle Julien Noguera.
Tous reçus sauf cinq
Midi, la pluie fine s’est transformée en averse intense. Les ateliers sont terminés, les questionnaires corrigés. Tous les arbitres en cours de formation (ACF) sont reçus arbitres stagiaires. Sauf cinq qui n’ont pas réussi les tests physiques.Ils auront droit à une session de rattrapage mardi avec les absents du jour, comme Michael Durchon. Les blessés, comme Noémie Décorme (entorse de la cheville), passeront les tests physiques après guérison.
Premier match au sifflet en janvier
La remise du matériel (maillot officiel, short, chaussettes, sifflet, cartons) commence sous une tente assaillie par la pluie.Le jeune Mattéo Debon, 14 ans, repart les mains vides : « il n’y avait pas de chaussettes à ma taille ».
Le premier match au sifflet aura lieu en janvier. Dans le froid. « J’aimerais tomber sur deux équipes joueuses », espère Julien Noguera. Elles ne ferment pas le jeu en flirtant avec les limites de la règle, elles sont plus faciles à arbitrer.
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Par Hervé Marchon, journaliste et réalisateur sonore.
Vincent Leloup
« Ayant joué une douzaine d’années au rugby, j’ai toujours eu envie de photographier ce sport, et en particulier la dynamique et les mouvements qui lui sont propre : la montée d’une défense en ligne, le débordement, la passe croisée, le saut en touche, ou l’entrée en mêlée. Pour cela il est nécessaire de rendre les images les plus lisibles possible et donc, souvent, de prendre de la hauteur pour gommer les éléments perturbants, comme les publicités, et d’accentuer la rapidité du jeu par des vitesses lentes sur mon boitier (bien en dessous du 125e de seconde). C’est ce que j’ai essayé de faire sur les trois Coupes du monde que j’ai photographiées pour Libération ou le JDD, la douzaine de Tournois des 6 Nations, ou les finales de Top 14.
En travaillant avec le magazine Attitude Rugby, j’ai aussi abordé le rugby des champs, les coulisses des finales de petites séries, la joie de ces sportifs qui sont encore de taille humaine. Avec des piliers qui marchent sur le terrain d’une mêlée à l’autre, des buteurs qui ratent les pénalités, des demis de mêlée qui font moins d’1m80, et tous qui chantent sous la douche.
J’ai également photographié le rugby féminin lors d’une Coupe du monde.
Mais jamais je ne m’étais intéressé aux arbitres. Ils sont souvent la bonne excuse lors d’une défaite. Ils sont sous la pression du public, des dirigeants de club et des entraîneurs. Tous hurlent sur le bord de la touche ou dans les tribunes à chaque décision de l’homme au sifflet qui est, pourtant, au cœur de l’action. On se souvient de l'expression de “sodomie arbitrale” assénée par un président d'un club du Top 14, en 2012, pour qualifier la défaite de ses joueurs. Elle lui a valu d'être condamné à 3 000 euros d'amende.
Pourquoi devient-on arbitre, comment supportent-ils la pression, comment sont-ils formés ? Ce sont toutes ces questions qu’Hervé Marchon et moi avons essayé de raconter dans ce rendez-vous. »