Membre de la rédaction de RendezVous Photos depuis son lancement en Avril 2017, Philippe Jarreau s'est éteint le 13 Mai 2020. L'ensemble de l'équipe passée et actuelle lui rend hommage. Textes : Patrice Trapier et Vincent Leloup.
Je me souviens du début de l’année 1981, Jacques Torregano avait invité Philippe à rejoindre notre projet d’agence de presse photographique Collectif-Presse. Il en a été l’un des photographes fondateurs.
Je me souviens que c’est lui qui nous avait poussé à prendre le statut de coopérative, il avait même proposé de partager à parts égales les revenus, mais là, nous ne l’avions pas accepté.
Je me souviens du 31 décembre 1983 ou une grande partie de l’agence fêtait ensemble la fin de l’année en Normandie, Philippe n’était pas là. Depuis une semaine il ne quittait pas l’usine Talbot de Poissy occupée. La police est intervenue, les CRS sont entrés dans l’usine. Il était le seul journaliste présent. Il a trouvé un labo ouvert, contacté les chaînes de télévision et livré les tirages, et ces images ont fait l’ouverture du 20h de TF1, le dernier de l’année. C’était ça Philippe !
Je me souviens aussi de son travail sur Georges Marchais. Il voulait absolument réussir à le photographier dans son bureau place du colonel Fabien, il n’y est pas arrivé, mais sa détermination montrait déjà toute son énergie journalistique. J’ai conservé deux tirages de ses photos du secrétaire général, exclusifs !
Je me souviens qu’une fois devenu rédacteur en chef de Collectif-Presse, il m’a appelé et réveillé à une heure du matin en août 1985. Il venait d’apprendre qu’une catastrophe ferroviaire venait d’avoir lieu à Argenton-sur-Creuse. Je lui ai répondu que je dormais et que de toute manière je n’avais pas de voiture. Une demi-heure plus tard, il me rappelait, il avait trouvé, pour 3000 francs un taxi pour faire les 400km et lui ramener les pellicules !
Je me souviens que lorsque nous avons fermé Collectif-Presse, il n’a pas voulu récupérer ses photos, négatifs, planches contacts, tirages, diapos, tout est parti à la poubelle. Le passé ne l’intéressait pas, c’est l’avenir qui l’intéressait, le prochain sujet, la prochaine actu, l’info en intraveineuse.
Je me souviens qu’au JDD, rédacteur en chef photo sans beaucoup de budget, il adorait faire la nique à Paris Match en commandant, récupérant et publiant des images exclusives.
Je me souviens de ses appels après avoir vu les photos d’un reportage qu’il m’avait commandé, ne disant pas bonjour, juste « t’as que ça ? ».
Je me souviens de son côté pygmalion aimant faire débuter ou aider de jeunes photographes, souvent des femmes, mais pas que ! De sa fidélité aussi, faisant souvent travailler tout au long de sa vie professionnelle ses photographes préférés, les poussant toujours à se dépasser. Patrick Baz, Lise Sarfati, Rodolphe Escher, Elodie Grégoire, Sandrine Roudex, moi-même, et d’autres sans doute.
Je me souviens que pour RendezVous Photos il est allé trouver au fin fond des Etats-Unis de magnifiques images d’Ernest C. Whiters à Memphis sur les débuts d’Elvis et comment pour le même sujet il a négocié les prix d’arrache pied avec Getty.
Je me souviens que nous donnions ensemble des cours de photojournalisme à l’École Française de Journalisme (EFJ). Nous complétant parfaitement dans ce travail de transmission où à la fois nous les exercions à la technique et leur faisions découvrir Eugène Smith ou Margaret Bourke-White, et les pages de Life ou de Vu. Ensemble, nous leurs faisions prendre conscience de la force de l’image, leur donnions les pistes pour comprendre, chercher, aimer les photos d’actualité.
Je me souvient qu’à l’école on s’étaient surnommés « bad cop » et « good cop ». Ça ne le gênait pas d’être « bad cop » !
Vincent Leloup, directeur de la rédaction
Philippe Jarreau
Un dandy de grand chemin
Directeur de la photo du Journal du Dimanche de 1995 à 2010, Philippe Jarreau s’est éteint en début de semaine, à l’âge de 61 ans. Il avait des manières d’un autre siècle, une élégance de tweed et de velours enveloppée d’un brouillard de cigarettes, un goût pour le Bombay Saphire et l’habitude de voussoyer les dames. Un dandy certes mais prêt aux aventures de grand chemin, filatures et planques, tout pour rapporter et publier « l’histoire en photos ».
Philippe Jarreau s’était fait les dents jeune à la maquette de Paris-Match avant de cofonder en 1981 l’agence Collectif puis de suivre les diverses routes de Jean Schalit, inventeur en chef de nouvelles formes de presse écrite. Jarreau a ensuite débarqué au JDD à la demande d’Alain Genestar, directeur déjà passionné par la photo, bien avant Polka. Il s’agissait de donner une signature visuelle à un journal en mutation. Mission accomplie !
Philippe Jarreau aura célébré le photojournalisme jusqu’à la dernière heure à travers ses cours et le site RDV-Photos imaginé par Vincent Leloup. Pétri d’humour et de mauvaise foi, hanté par les tourments du XXe siècle, cet ashkéno-séfarade aura eu le temps de lire Mathausen, le chef-d’œuvre de Iakovos Kambanellis, avant de prendre congé, d’une pirouette de chat.
Patrice Trapier
Carnet : Philippe Jarreau
/ ÉP 1 : Philippe Jarreau